MANDARINES

Courbe, j’ai avance vers les sieges vacants a l’arriere du taxi collectif, prenant place dans un coin. Disposition idiote, a l’arriere, trois sieges qui se faisaient face. Autrefois, c’etait pas comme ca.

Il y avait un certain temps que je n’avais pas frequente les taxis collectifs. Trois ou quatre ans.

Quelques personnes sont montees et ont occupe toutes les places disponibles. Le vehicule a demarre, et roule dans un micro quartier dortoir deprimant. Une fille d’environ dix-huit ans etait assise en face de moi. J’ai regarde ses genoux dans des collants couleur chair.Elle a pris une mandarine dans le sachet, a plante ses ongles dans le fruit et s’est mise a lacher les epluchures dans le sachet.

Bien sur, j’avais fait une betise, et Olga etait furieuse a cause de cette affaire. Bien qu’elle n’ait pas besoin de me faire une gueule pareille. Comme si l’accident etait de ma faute, ou quelque chose dans ce gout-la. Bon, de toute facon, il ne fallait pas laisser la bagnole la-bas, ou elle risquait de partir a la fourriere. Resultat des courses, Olga et la petite Natacha avaient du rentrer en metro, et il fallait que j’aille a Petchatnik pour remplir les formulaires « recuperer la bagnole ».

— Arretez-vous au bout de la palissade, a dit la fille aux mandarines.

Le chauffeur, qui n’avait pas l’air russe, a hoche la tete.

La fille a pris son sac et le sachet de mandarines ou il y avait les epluchures. Le taxi s’est arrete. Elle est descendue. Je suis descendu derriere elle, refermant la portiere du taxi collectif. Le vehicule s’est eloigne.


N’IMPORTE LEQUEL MAIS DU DEMI-SEC

La fille a depasse les cahutes metalliques servant de garages, se dirigeant vers un immeuble de neuf etages pas tout neuf.
Je l’ai rattrapee. Elle m’ a remarque, s’est retournee et m’a contemple.
— Tu as du pognon ? a-t-elle demande. Chez moi, il n’y a rien a boire…
J’ai hoche la tete. Elle a oblique vers le magasin de l’immeuble. Un berger allemand etait attache a la rampe de l’escalier. Appuye contre le mur deux ados buvaient de la biere. Elle leur afait un signe de tete, les gars ont dit :
— Salut.
On est descendu dans le semi-sous-sol du magasin.
— Qu’est-ce que tu bois, d’habitude, a-t-elle demande.
J’ai hausse les epaules.
— Tout ce qu’on veut.
— Alors achete deux bouteilles de vin. N’importe lequel, mais du demi-sec. J’ai de la bouffe a la maison.

On est sorti de l’ascenseur. Elle a sorti les cles et deverrouille la porte metallique recouverte de skai matelasse marron ecule — bon marche, comme partout. Je suis entre derriere elle,incertain. Elle a allume la lumiere. Les portes a double-battants de toutes les pieces etaient ouvertes. J’ai pose le sac contenant les deux bouteilles de vin par terre et j’ai ferme la porte d’entree. Elle a enleve son manteau, l’a suspendu a un crochet, elle est restee comme ca, dans sa jupe marron descendant un peu au-dessous du genou et dans son corsage bleu au decollete plongeant. Au fond de l’echancrure, on distinguait un soutien-gorge blanc. Elle a fait un demi pas en arriere, s’est appuyee contre le mur, et m’a contemple. Je me suis souvenu que son visage ressemblait beaucoup a celui d’une actrice populaire dans les annees 1990. Elle avait joue dans quelques films avant de disparaitre.Juliet Lewis.
— On va pas rester la comme ca. Allons boire du vin.

CASSER LA CARTE SIM DU PORTABLE

Elle fumait une cigarette a la fenetre de la cuisine. Devant la fenetre s’elevait un immeuble de neuf etages en tous points semblable a celui dans lequel nous etions. Les fenetres etaient illuminees. Des silhouettes se decoupaient a quelques-unes d’entre elles. J’ai enleve la carte SIM de mon telephone portable, je l’ai cassee en deux, je me suis approche d’elle. Elle a ecrase sa cigarette dans le cendrier de verre sur le rebord de la fenetre. On s’est embrasse. Il y avait de nombreuses annees que je n’avais pas senti le gout d’une cigarette dans la bouche d’une fille. Olga ne fumait jamais, et ne faisait jamais rien de « malsain » d’une maniere generale.
J’ai ouvert son corsage et j’ai pris sa poitrine a deux mains, sous le soutien-gorge. Elle a appuye son derriere sur le rebord de la fenetre, auquel elle s’est accrochee a deux mains. J’ai mis une main sous sa jupe et j’ai baisse son collant et sa culotte.

Allonge dans un lit a deux places,j’etais sous la couverture. Je me foutais de qui avait dormi avant dans ce lit,ces draps pas tres frais. Elle etait assise a proximite, appuyee sur la moquette qui recouvrait le mur, elle fumait. La lumiere de la chambre etait eteinte, les reverberes de la rue l’eclairaient. Elle a jete sa cigarette dans un verre, et s’est levee du lit. J’ai dit :
— Apporte- moi ce qui reste dans la bouteille.
Elle a hoche la tete, et elle est sortie de la piece. Appuye sur l’interrupteur. La porte des toilettes s’est ouverte et refermee. J’ai pense qu’Olga etait plus jolie — plus mince, sa silhouette avait plus d’allure, bien qu’elle ait deja trente-deux ans et qu’elle ait accouche. La chasse d’eau a retenti dans les toilettes. Elle est revenue avec la bouteille — il en restait encore la moitie. Je l’ai empoignee et j’ai avale une longue gorgee. Elle s’est glissee pres de moi, sous les couvertures. J’ai dit :
— C’est bizarre tout ca… On vit sur un modele, un format. L’ecole, apres, la fac, apres, le boulot… Pour avoir une carriere, du pognon… Apres on se marie, on a une famille… L’engueulade est inevitable, beau-pere, belle-mere. Tu ne les aimes pas, ils ne t’aiment pas non plus… Apres tu t’habitues, ou bien ca ne t’atteint meme pas, si t’as un gamin…Appartement, hypotheque, nouvelle bagnole, partir en vacances… Et tu vois pas le temps passer… un, deux, trois ans…
— Pourquoi est-ce que tu me racontes tout ca ?
— Je sais pas… Pour…
— C’est mieux de rien dire,d’accord ? Tu n’as rien dit en sortant du taxi collectif… J’aime pas qu’on me baratine ces salades : « Comment vous appelez-vous mademoiselle… ». Bon, t’as compris…
— Et tu ne me diras rien sur toi ?
— Je n’ai rien de particulier a raconter… J’ai fini l’ecole l’annee derniere. Je voulais pas aller a la fac.Jai travaille comme vendeuse. Ca m’a pas plu…
— Tu ne fais que ce qui te plait ?
— J’essaie… Non, c’est pas possible,evidemment… Mais on peut au moins se passer de faire ce qu’on aime pas…
— Tu vis avec tes parents ?
— Oui, mais ils sont a la campagne jusqu’a cet hiver. La-bas, ils sont plus pres de leur boulot… Et je suis ici,je fais ce que je veux…
— Ils t’ont laisse de l’argent ?
— Un peu, mais pas beaucoup. Surtout de la nourriture…
Elle a souri. J’ai ramasse la bouteille par terre, j’ai bu une gorgee, je lui ai tendue. Elle a bu un coup a son tour et repose la bouteille par terre. Je me suis rapproche d’elle et on s’est embrasse.

UNE QUINZAINE DE BOUTEILLES DE BIERE

J’ai ouvert les yeux. Il faisait jour. Sur le mur, l’horloge marquait onze heures moins vingt. Je ne me souvenais pas de la derniere fois ou je m’etais reveille si tard en semaine,vacances exceptees, bien sur. Elle dormait encore. Je me suis leve, approche de la fenetre, j’ai regarde la cour jonchee de feuilles mortes, l’immeuble de neuf etages voisin, les gardiens en gilets orange. Le lit a grince. Je me suis retourne. Elle me regardait en souriant.
— S’il te reste de l’argent on peut descendre au magasin acheter de la biere et des crevettes, a-t-elle dit.
— C’est notre petit-dejeuner ?
— Ah, j’y pensais pas specialement…petit-dejeuner, dejeuner. Si tu veux manger, mangeons… Ca ne va pas ?
J’ai hausse les epaules, j’ai ricane.

Il faisait nuit a la fenetre de la cuisine. J’ai regarde l’heure : une heure et demie. Deux ou trois fenetres seulement etaient illuminees dans l’immeuble d’en face. Il trainait une quinzaine de bouteilles de biere par terre… Ce qu’on avait bu dans la journee. J’ai ramasse une bouteille par terre, bu une gorgee, repose la bouteille, je l’ai regardee. Elle a dit :
— En general, je n’aime pas boire beaucoup… J’aime bien quand ca grise, et apres, entretenir…
— Et ca marche ?
— Pas toujours.
Elle a souri, souffle de la fumee.
— …Parfois, j’en suis pas loin…
J’ai rebu une gorgee de biere. Elle a jete son megot dans une bouteille vide. Je me suis approche d’elle et j’ai glisse les mains sous sa robe de chambre. On s’est embrasse. Une voiture est passee dans la rue, ses feux de signalisation ont brille un instant.

Elle fumait a la fenetre de la cuisine. J’ai redresse l’oreiller, rabattu la couverture sur mes jambes.
— Il faut que tu t’en ailles,a-t-elle dit, en regardant par la fenetre.
— Tes parents vont revenir ?
— Qu’est-ce que ca peut faire ?
Je me suis leve du lit, je me suis enroule dans la couverture, et je suis alle dans la salle de bains pieds nus.J’ai pris mon calecon et mes chaussettes sur le radiateur.

La porte cochere s’est refermee dans mon dos en claquant. J’ai oblique vers l’arret du taxi collectif, et en chemin j’ai sorti mon porte-monnaie et compte le pognon qui me restait. Il ne m’en restait sans doute pas assez pour recuperer ma bagnole. J’avais une carte de credit aussi, mais est-ce qu’il y avait un distributeur dans le coin ?
Pres du magasin de l’immeuble etait garee une fourgonnette avec des barriques crasseuses. Un homme y a pris une caisse de biere.
Le taxi collectif, est arrive. J’ai ouvert la portiere avant, et suis monte. Encore un coup, le chauffeur n’avait pas l’air russe. C’etait peut-etre le meme. La voiture a demarre.